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Voir ce complet film Une journée particulière 2160p

  • Une journée particulière
  • (Una Giornata Particolare)
  • Italie, Canada
  • -
  • 1977
  • Réalisation. Ettore Scola
  • Scénario. Ettore Scola, Ruggero Maccari, Maurizio Costanzo
  • Image. Pasqualino De Santis
  • Montage. Raimondo Crociani
  • Musique. Armando Trovajoli
  • Producteur(s). Carlo Ponti
  • Production. Compagnia Cinematografica Champion
  • Interprétation. Sophia Loren (Antonietta), Marcello Mastroianni (Gabriele), John Vernon (Emanuele), Françoise Berd (la concierge), Nicole Magny (la fille d’officier), Patrizia Basso (Romana).
  • Date de sortie. 17 juin 2009
  • Durée. 1h45
  • voir la bande annonce

La tour infernale, par Anne-Violaine Houcke

Une journée particulière

Una Giornata Particolare

Présenté en compétition officielle du festival de Cannes 1977, César et Golden Globe du Meilleur film étranger en 1978, Une journée particulière. d’Ettore Scola, est sans conteste l’un des plus beaux films de l’histoire du cinéma. Une journée, un lieu, une action. nous sommes proches du théâtre classique. L’unité est trompeuse. La journée est historique. la signature de l’axe Rome-Berlin par Hitler et Mussolini ; mais elle est particulière. la rencontre entre deux êtres meurtris par le régime. Nous sommes à la fois dans un huis-clos et sur la voie des Forums impériaux. Nous assistons à deux actions, l’une qui se situe dans l’Histoire, et l’autre, qui prend place dans l’humble histoire de Antonietta et de Gabriele, magnifiquement interprétés par Marcello Mastroianni et Sophia Loren. Un chef-d’œuvre.

Le 8 mai 1938, Hitler vient à Rome signer l’axe Rome-Berlin. c’est une journée historique. Tellement historique que le film s’ouvre sur une longue séquence montant des images d’archives de la grandiose cérémonie organisée par le Duce en l’honneur du Führer. Mais c’est aussi une journée très particulière. En ce 8 mai 1938, alors que tous sont partis sur la voie des Forums impériaux (une réalisation mussolinienne…) pour assister aux manifestations, il ne reste dans un immeuble romain déserté que Gabriele, Antonietta, et la concierge. Le premier est un intellectuel anti-fasciste, ancien chroniqueur à la radio mis à pied pour « défaitisme » et « déviance » − un homosexuel, donc. Antonietta est une bonne mère de famille fasciste, traditionaliste, sans éducation. Elle tient un album d’images à la gloire du régime, a composé un portrait de Mussolini avec des boutons, et s’est évanouie le jour où le Duce est passé à côté d’elle à cheval. Ce jour-là, elle s’aperçut qu’elle était enceinte… Ô divin Mussolini… Elle a d’ailleurs sept enfants qui l’épuisent (et un mari qui la méprise), mais en fera un huitième pour avoir le prix des familles nombreuses. Gabriele, lui, paie la taxe du célibat (« la solitude est une richesse », dit-il avec un sourire doux-amer)… C’est pour eux que cette journée sera très particulière, car le film raconte la rencontre éphémère de ces deux êtres si opposés en apparence, mais qui ne sont, au fond, que deux victimes d’un régime liberticide, qui les opprime et les humilie.

Si le récit se concentre sur le drame intime vécu par Antonietta et Gabriele, l’Histoire ne quitte jamais l’écran. Du début à la fin du film, la voix de Guido Notari, transmise par la radio de la concierge, décrit avec emphase les événements qui se déroulent sur la voie des Forums impériaux. Ettore Scola, qui a lui-même vécu cette journée en tant que « balilla » (membre d’une organisation de jeunesse fasciste), a utilisé des extraits radiophoniques authentiques, car il voulait la voix même du speaker officiel du régime. Par les haut-parleurs de cette petite radio, les hymnes et marches militaires entrent dans l’espace exigu des deux appartements, et viennent souligner la fragilité du bref instant de liberté qui semble accordé aux personnages. Par la voix virile et assurée de Guido Notari, le fascisme pénètre l’espace, tout comme l’œil de la concierge vient scruter l’intérieur de l’appartement pour y déceler des comportements déviants. L’agrandissement épique de l’espace, permis par une voix radiophonique restituant avec une précision minutieuse les événements historiques de la voie des Forums impériaux, n’est là que pour intensifier la menace permanente qui pèse sur Antonietta et Gabriele, enfermés dans un espace sous surveillance, totalement investi par le fascisme (les B.D. les albums photo, etc.).

La mise en scène traduit avec brio la lutte qui se joue entre le désir de liberté des personnages et les contraintes qui pèsent sur eux, la tension entre une volonté de légèreté et la chape de plomb posée sur leurs existences par le régime. Les mouvements d’Antonietta et Gabriele composent malgré eux comme une danse de séduction, car ils sont contraints de maintenir la distance (pour éviter les médisances de la concierge notamment) tout en cherchant sans cesse à l’abolir. Tout au long du film, la caméra se meut sans cesse, glisse le long des parois de cet immeuble à l’architecture fasciste, observe à travers les fenêtres, s’approche des personnages, passe d’un espace à un autre. elle semble nous dire que dans ces immeubles, on est toujours sous le regard de l’autre ; mais ce faisant, elle effectue, comme les personnages, un ballet ininterrompu, comme si tout arrêt risquait d’être définitif. Si la mise en scène joue sans cesse sur le proche et le lointain, elle tire surtout un remarquable parti de la verticalité de l’immeuble. C’est sur le toit en effet que les deux protagonistes parviendront enfin à s’échapper pour vivre un bref instant de liberté, au milieu des draps blancs flottants au vent contre un ciel d’un bleu pur. Exit le drapeau noir qui avait fait la transition entre les images d’archives et le début de l’histoire dans l’immeuble. La fin du film répondra en miroir à cette sorte d’échappée onirique par la descente aux enfers accomplie par Gabriele, observé en plongée par Antonietta alors qu’il descend les escaliers en spirale, accompagné de deux sbires en costume sombre. Le plan passe alors en contre-plongée, pour nous montrer Antonietta, minuscule derrière sa fenêtre, fausse princesse emprisonnée dans sa tour.

C’est avec une vraie sensibilité, sans pathos ni trompettes, que le film parvient à entremêler le drame intime et l’histoire de l’Italie fasciste. Une journée particulière porte un regard pudique sur une société en souffrance (la photographie blafarde, presque en noir et blanc, est comme le symptôme d’une société moribonde), sans daigner céder à une rhétorique facile, et sans dédaigner de nous faire sourire, et même rire. Il faut dire que les répliques de Mastroianni sont souvent très drôles, même si derrière l’humour perce bien souvent une certaine amertume. C’est ainsi qu’à propos de lui-même, et des médisances de la concierge, il déclare. « Je ne crois pas que le locataire du 6e soit antifasciste, c’est plutôt le fascisme qui est antilocataire du 6e. » Ettore Scola démonte la rhétorique du régime à travers l’ironie de Gabriele, qui s’amuse de la naïveté d’Antonietta et la conduit à faire remonter à la surface les vérités qu’elle se cache. Une vraie maïeutique de l’ironie, en somme.

Une journée particulière n’est pas un film sur le fascisme – ou pas seulement – mais sur la mentalité fasciste. Au départ, Ettore Scola n’avait d’ailleurs pas prévu de le situer dans le passé. Citons plutôt le cinéaste, évoquant le film. «Certes, le fascisme historique est mort en tant que régime, mais le fascisme psychologique quotidien, le fascisme qui impose la norme et condamne celui qui est différent, n’est pas mort. » Ou, comme le dit Gabriele. « On se soumet toujours à la mentalité des autres… » Il faut certainement se réjouir que le film ressorte aujourd’hui.

Que dire de plus, sinon que Sophia Loren et Mastroianni sont ici au sommet de leur art. La diva incarne sans crainte une ménagère aux collants filés, aux yeux creusés et au teint blafard, et le latin lover de La Dolce Vita . un homosexuel traqué. On se rappelle de lui, déjà, dans Le Bel Antonio . en impuissant. de tels rôles, loin de démythifier les stars, font chatoyer les mythes de couleurs plus riches et plus intenses. De tels acteurs, loin de transformer leurs rôles pour y faire belle figure, les créent véritablement pour les faire sonner encore plus juste.

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